Le Mpafu, l’arbre fierté des communautés vivant dans la Réserve de Faune de Kabobo-Luama en province du Tanganyika
Lorsque vous parcourez la zone habitée de la Réserve de Faune de Kabobo (RFK), dans la province du Tanganyika, vous ne manquerez pas d’entendre chanter les louanges du Mpafu, encore surnommé l’arbre du roi. De son nom scientifique « Canarium schweinfurthii », le Mpafu est un arbre majestueux qui peut atteindre 20 à 30 mètres de haut, voire plus. C’est l’un des symboles culturels partagés à la fois par les holoholo et les batwa qui vivent autour de la Réserve.
« Nous aimerions que nos enfants puissent aussi connaître cet arbre. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons accepté que cette forêt soit protégée car il devient rare de trouver l’arbre du Mpafu dans nos villages. Nous avons presque tout coupé pour fabriquer de la braise. A cette allure nos enfants n’entendront parler du Mpafu que de nom », dit le chef de village de Kindingi,monsieur Mutimpa Amisi surnommé Kindingi qui se rappelle être parmi les chefs locaux à avoir donné son accord pour la création d’une aire protégée dans cette partie de la province du Tanganyika.
Pourquoi les communautés de la Réserve de Faune de Kabobo vénèrent-elles le Mpafu, et pourquoi est-il si crucial pour elles que cet arbre sacré ne disparaisse pas et que leurs enfants en perpétuent la connaissance et les traditions qui y sont attachées?
Le Mpafu, pour l’alimentation
D’abord, les fruits du Mpafu, des graines vertes de la taille d’une noix de muscade avec un noyau dur à l’intérieur, sont comestibles. « Tu ne peux pas mourir de faim si tu as les fruits du Mpafu », confient plusieurs habitants.
Une jeune fille, qui vend des fruits cuits du Mpafu au bord de la route nationale n°5, au niveau du village de Muleka, l’un des rares endroits dans la Réserve où l’on peut encore acheter le Mpafu prêt à être dégusté, explique comment on prépare ce fruit qui ne peut pas être consommé cru : « Nous cueillons ou ramassons les fruits tombés de l’arbre. Nous les faisons bouillir pendant quelques minutes, juste le temps nécessaire pour ramollir la pulpe, qui prend une teinte chocolatée au contact de l’eau chaude. Ensuite, nous retirons les fruits de l’eau et consommons uniquement la pulpe ». La jeune vendeuse souligne l’importance de ne pas faire cuire les fruits trop longtemps, car une cuisson excessive rendrait la pulpe trop molle et peu agréable à consommer.
Une fois préparé de cette manière, le Mpafu ne présente pas de goût particulier; sa pulpe n’est ni aigre, ni sucrée, ni amère. Pour lui donner plus de saveur, on ajoute une pincée de sel. La pulpe du Mpafu peut être dégustée seule ou accompagnée de fufu (la pâte), ainsi que de patates douces.
Une autre façon de consommer le Mpafu, a expliqué une dame rencontrée dans le village de Kisondja, est de fabriquer de l’huile végétale, toujours à partir de ses fruits. « La première étape : faire bouillir les Mpafu avec de l’eau pendant quelques minutes. Ensuite, retirer du feu et laisser fermenter pendant 3 à 4 jours. Puis, piler pour séparer la pulpe du Mpafu du noyau dur. Remettre dans la casserole et cuire à nouveau dans de l’eau bouillante et tamiser pour ne garder que le liquide. Remettre sur le feu. Ensuite, observer l’huile commencer à se séparer de l’eau. Commencer alors à enlever petit à petit l’huile et la transférer dans une autre casserole. La dernière étape : remettre la casserole au feu pour s’assurer que toute l’eau s’évapore, ne laissant que l’huile pure », a-t-elle confié.
Les anciens se souviennent encore que l’huile de Mpafu avait une apparence similaire à celle des marques « USA » et « OKI », des huiles distribuées par des organisations internationales pendant l’apogée de l’aide humanitaire dans plusieurs provinces de la RDC, y compris le Tanganyika. Aujourd’hui, l’afflux massif des marques d’huiles importées a saturé le marché local. Il est donc rare de trouver des familles holoholo et batwa qui fabriquent encore et continuent de préparer leurs repas avec l’huile végétale du Mpafu. Dommage !
Le Mpafu, pour des rites mystiques
Quand on coupe l’écorce du Mpafu, on trouve une matière blanche, gluante et collante. Cette résine flambe et dégage une forte fumée. Cette résine joue un rôle crucial dans les rituels magiques, explique Assani Kungwa John, point focal des communautés Twa de la Réserve auprès de la Wildlife Conservation Society (WCS) qui co-gère la RFK : « Dans les cultures des Holoholo et des batwa , les chefs faisaient des incantations mystiques sous l’arbre du Mpafu. Ils brûlaient cette résine blanche comme encens pour invoquer les bons esprits. La forte odeur de cet encens, chassait aussi les mauvais esprits ».
La matière blanche est aussi utilisée pour allumer le feu, comme torches, ou encore pour éloigner les moustiques.
Autrefois, les cours des chefs étaient souvent ornées d’un arbre de Mpafu. De nos jours, il est devenu rare de trouver cet arbre dans les cours des chefs de village. Pour préserver cette tradition, la Cheffe du village de Kitunda en a planté un dans sa cour.
Mais ce n’est pas tout, toutes les parties de la plante seraient utilisées en médecine traditionnelle. Les racines, les feuilles, les écorces, possèderaient des vertus médicinales. Malheureusement, il était difficile de trouver des explications fournies sur cet aspect. Certaines personnes ont confié que les tisanes à base d’écorces et de racines de Mpafu facilitent l’accouchement des femmes enceintes en difficulté. D’autres prétendent que les tisanes de Mpafu sont efficaces contre la toux, mais sans vraiment connaître la posologie appropriée.
Il est clair que les connaissances sur le Mpafu sont détenues par une poignée de personnes. Mais pour combien de temps encore ?
- Breuil Munganga